Edito - Apolline Quintrand, Directrice du Festival de Marseille F/D/Am/
De la scène au ring
Une nouvelle édition, un nouveau lieu à conquérir. Inattendu, déroutant pour certains, "sparring partner" de choix pour d'autres, il est le ring, l'anneau autour duquel va graviter le F/D/Am/M 2010.
Dédiée à la boxe, au sport, aux combats politiques, temple des grands concerts rock/pop et de la danse dans les années 80, la Salle Vallier affiche deux messages, l'un venu du ring : se relever très vite quand on tombe, le second inhérent à la scène : transformer en de nouvelles arborescences des contraintes à répétition. Des aventures qui nous préparent à relever le défi de Marseille-Provence 2013, où nous aurons à inventer, re-dessiner de nouveaux territoires, à en détourner et briser les codes comme l'on brise des tabous.
Georges Perec disait que "les lieux stables, intangibles, intouchables, immuables, n'existent pas, qu'un lieu n'est jamais à soi, qu'il faut en faire la conquête." Dont acte.
La pulsation du temps
Cette 15e édition est rythmée par le temps. Ni nostalgique, ni compilatoire mais cycle de vie qui fait cheminer, grandir sans entraves, combattre, renaître. De la mise en danger de l'été dernier, nous avons retenu la fidélité et la fraternité des artistes, du monde professionnel et du public, la solidité de nos équipes. Des complicités soudées par l'essentiel se sont révélées. Cette édition leur doit beaucoup, tout comme la naissance de Fluxdemarseille qui réunit dès cet été cinq structures culturelles, leurs artistes, leurs spectateurs.
La distillation du temps
Dans ce goutte à goutte du temps, la création artistique et la vie se sont infiltrées doucement, parfois douloureusement. Comment dire le silence, la mise à nu et à vif, les rivages perdus de l'enfance, l'éphémère, l'inaltérable, la vie, la fin de la route ? Doit-on pour cela se défaire de son passé strate par strate dans un rituel de l'effacement et de la disparition, doit-on au contraire ranger précieusement sédiment par sédiment, à la manière des archéologues, nos fragments de vie et d'émotion ?
Les artistes y ont répondu. De Tokyo, Kyoto, Kanagawa, Nagano, en passant par Montréal, New York, Berlin, Kanizsa,Vienne, Londres, Marseille ou Paris, ils sont allés au plus près de la lumière, au plus profond des ténèbres, regarder, questionner. Au risque de s'y brûler les ailes, tels des papillons, ils ont puisé dans le temps-sablier ces mots épars pour nous guider dans leur monde, éclairer le nôtre.
La vie qui bat
Celle par qui tout commence. Symboliquement, concrètement, Ginette Laurin ouvre le Festival en dansant la pulsation de la vie, rythmée par l'envoûtant Drumming de Steve Reich joué en live par les musiciens de l'OJMPACA jusqu'à créer une Onde de choc électrisée par la musique de Michael Nyman. Une onde qui se propagera le lendemain à la soirée de clôture, calée sur les battements glam/rock/pop des extravagants Irrepressibles, venus de Londres, et des musiques improvisées en provenance de Tokyo et New York et repérées par le Grim.
Pour Bodies in Urban Spaces, c'est dans la jungle de la ville que le performeur autrichien Willi Dorner, agitateur urbi et orbi, a écouté les vibrations du bitume et des hommes. Tandis que le chorégraphe Christophe Haleb aura disséqué avec humour et intelligence quelques écarts de langage. Entre pulsions et pulsations, il aura rendu fous des mots à usage domestique et exprimé sa gourmandise existentielle dans un dyptique vitaminé et sexué. Domestic Flight, Liquide.
D'autres ont joué à se souvenir et construit des cabanes, cicatrices ou madeleines du passé, selon. Il fera bon se réfugier dans la cabane du Canadien Paul André Fortier qui a récolé et recollé des pans entiers de sa vie avec la complicité loufoque du plasticien compositeur Rober Racine ou dans la cabane-théâtre de Josef Nadj qui, en nous rapprochant de la source de sa vie, Kanizsa, sa ville-berceau, nous fait découvrir sa tribu, les siens. Un cadeau. Autre présent aussi fragile que précieux, celui fait par Christian Rizzo avec L'Oubli, toucher du bois. Il nous enferme dans le silence, nous dénude, pour mieux nous revéler, nous libérer. Spiritualité, rituel de vie et de mort paien et religieux habitent la géométrie épurée de sa maison, tabernacle géant de l'éternité.
Dans ces face-à-face passé/présent/avenir, l'Histoire, la mémoire, l'héritage se sont invités. Images du port industriel de Marseille tourmenté, fascinant, sous le regard des cinéastes Julien Chesnel, Emmanuel Vigne et de Marie Reinert, portraits de ceux qui nous ont tant aimés ou que nous avons tant aimés. Jérôme Bel et Cédric Andrieux ont filigrané celui de Merce Cunningham tandis que Jonah Bokaer, tout à la fois remarquable interprète de la compagnie, tête chercheuse des friches-studios de Brooklyn, rayonne d'être cet héritier inventif, fort et libre comme on l'est à 28 ans. Carte blanche lui est donnée tout comme à marseille objectif DansE pour un "in memoriam" tendre et vivant consacré à Cunningham.
La note bleue est venue d'un quatuor d'artistes japonais qui a pris le pouls d'un temps autre que celui de notre monde occidental. Shiro Takatani, du collectif Dumb Type, en solo dans une Chambre claire argentiquement liée au philosophe Roland Barthes, Megumi Nakamura, incandescente interprète de Jiří Kylián, subtil mélange d'harmonie et d'orages, d'intériorité et de magnétisme ou Yayoi Kusama, incorrigible rebelle qui arrache "la porte des hallucinations", fait danser des pois, accroche des lampions aux nuages.
Enfin, Saburo Teshigawara, absolu comme le titre d'un de ses plus beaux soli. Acéré et aérien, impressionnant car impalpable, il transforme l'espace, tamise le temps. Avec virtuosité, obsessionnellement.
Cette quinzième édition vibre, oscille, au rythme de la vie, du temps et de l'amour.
Quinzième round oblige, cela cogne, bouscule, émeut, secoue, frôle parfois le K.O. mais, comme le dit un proverbe japonais : "Tomber 7 fois, se relever 8 fois, telle est la vie."
La vie qui bat.
+ + +
Apolline Quintrand
Directrice du Festival de Marseille F/D/Am/M
Billetterie / Réservations :
04 91 99 02 50 - 6 place Sadi Carnot 13002 - Marseille ou sur le site internet : www.festivaldemarseille.com
Abonnez-vous !
" Abonnement 3 spectacles = 60€
" Pass 2 spectacles = 45€
" Tarif jeunes = 10€